Les îles énergétiques : ressorties du néant

La mer du Nord joue un rôle de pionnier dans notre cheminement vers une communauté neutre sur le plan climatique : à nul autre endroit ne seront placées plus d’éoliennes offshore dans les années à venir. Et nulle part ne sont présentés davantage de consortiums et de projets de connexions sous-marines entre réseaux de gaz et d’électricité, production d’hydrogène et stockage de CO2. Et comme notre littoral, très bâti, n’offre que peu de possibilités, les îles artificielles sont ressorties du néant.

Construire des îles est plus glamour que les ports et canaux que nous aménageons partout dans le monde. Même si les défis techniques ne sont pas plus grands, elles suscitent davantage l’intérêt des ingénieurs. Peut-être le fait d’avoir son nom lié à un projet emblématique et reconnu de tous joue-t-il un rôle. Et bien souvent, les opposants, qui ne trouvent pas l’idée si bonne, ne manquent pas.  

Depuis les années ’80, Jan De Nul a construit des îles aux Seychelles, à Hong Kong, à Singapour et à Dubaï. Ces nouvelles terres ont accueilli des extensions urbaines, des terrains d’aviation, des terminaux portuaires et des zones industrielles. Toujours pour la même raison : la population croissante des régions côtières exerce une pression sur toutes les formes de logement et de développement d’infrastructures. Avec pour conséquence une hausse des prix des terrains qui dépasse le prix de revient de terres gagnées sur la mer.

Bien-fondé économique
Suite à la crise bancaire de 2008 et à l’effondrement de la demande de résidences haut de gamme, il semble que la construction d’îles refasse surface. L’installation de parcs éoliens en mer du Nord semble sonner l’avènement d’une nouvelle phase immobilière maritime, l’aspect économique jouant de nouveau un rôle important à cet égard. Sur de grandes distances, il revient moins cher de transporter des électrons verts dans du courant continu que du courant alternatif. Le courant continu simplifie du reste le raccordement de plusieurs réseaux, vu l’absence de différences de phase. Jusqu’à présent, ces onduleurs sont placés sur des plateformes, mais cela deviendra difficile pour des puissances de plusieurs gigawatts.

La compensation des fluctuations de l’énergie éolienne, appelée stabilisation du réseau, constitue une autre motivation : il faut de la place pour transformer et stocker l’énergie renouvelable sous la forme d’énergie potentielle, cinétique ou chimique. De plus, le transport longue distance de molécules vertes est moins cher que celui d’électrons verts.

Leur forme étant purement fonctionnelle, il y a de fortes chances que ces îles énergétiques ne présenteront ni forme spectaculaire, ni plages, ni hôtels ou autres sites. Elles accueilleront plutôt des structures pour le raccordement de câbles, des transformateurs et un poste à quai abrité.

Prise électrique
L’idée de créer des îles dans la mer du Nord n’est pas neuve : fin des années ’60, des îles devant accueillir des terminaux pétroliers, des décharges et des centrales nucléaires avaient déjà été conçues. En 1976, la Commission des Sages a rejeté chacun de ces projets. Cela ne nous a toutefois pas empêchés de concevoir des dizaines d’îles, pour la Belgique et pour le reste du monde.

C’est le projet Île Alpha qui a été poussé le plus loin. Cette île devait faire office de prise électrique en mer, par laquelle les parcs éoliens pourraient se raccorder au réseau belge à haute tension. À l’issue de la procédure d’appel d’offres lancée par Elia en 2014, nous avions une conception préliminaire, un prix, un calendrier et une association momentanée prête à commencer les travaux. Si nous avons oublié le temps et l’argent investis, l’opportunité manquée de réaliser un projet pionnier en Belgique, elle, est restée dans nos esprits.

Il semble qu’aujourd’hui, les astres nous soient de nouveau favorables. Les Pays-Bas, le Danemark et la Belgique ont tous trois des îles énergétiques dans leurs cartons, chacun pour leurs propres raisons. Les Pays-Bas souhaitent donner une seconde vie à leur infrastructure gazière en couplant l’éolien offshore à la production et au transport d’hydrogène. Le Danemark, propriétaire d’une grande partie de la mer du Nord, en outre très venteuse, disposera bientôt d’un excédent d’énergie verte qui pourra servir à d’autres pays. Quant à la Belgique, en quelques années, elle a bâti au maximum sa petite portion de mer du Nord, et elle doit compter sur l’électricité verte de pays voisins. On ne sait pas encore qui sera le premier, mais nous espérons secrètement avoir la primeur.

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